
La montée en puissance du e-commerce : les chiffres clés
Il est possible de constater une explosion du commerce en ligne ces dernières années, en raison de la pluralité du choix des articles et de l’attractivité des prix proposés par les plateformes de e-commerce. Comme expliqué dans le dossier de presse « Régulation et sécurité du e-commerce », c’est plus d’1,5 milliards de colis qui entrent dans les foyers français chaque année, dont plus de la moitié provient d’Asie et sont souvent exonérés de droits de douane (dès lors que leur montant est inférieur à 150€). On assiste à une croissance du e-commerce français, pour un chiffre d’affaires à hauteur de 175,3 milliards d’euros.
En 2024, c’est 4,6 milliards de colis exonérés de droits de douanes qui ont été importés en Union Européenne, dont 91% en provenance de la Chine.
La fast fashion occupe une part importante de ces importations en raison de l’attractivité des prix proposés par les entreprises d’Asie, des prix très bas au détriment du respect des normes imposées aux entreprises européennes.
Le développement du e-commerce avec des produits provenant principalement d’Asie pose plusieurs problèmes :
- concurrence déloyale envers les commerçants locaux
- prolifération de produits non conformes voire dangereux pour les consommateurs
- contournement des normes sociales et environnementales
- impact carbone du transport de marchandises sur de longues distances.
L’essor des géants chinois du e-commerce : une menace pour l’industrie locale
Ces deux enseignes figurent parmi les sites les plus visités en France, avec plus de 15 millions de visiteurs uniques mensuels chacun. En proposant des prix très bas et de larges choix aux consommateurs, ces géants du e-commerce défient toute concurrence française, au détriment du respect de la législation européenne.
En effet, les conditions de production des marchandises proposées par Shein et Temu restent encore opaques, malgré de nombreuses enquêtes et dénonciations de leurs pratiques. Les articles sont produits en quantité et en des temps records, tout en rémunérant très faiblement leurs salariés.
En octobre 2024, les autorités françaises ont ouvert une procédure contre Temu, ainsi que contre Shein depuis février 2025 pour manquements graves à la législation sur la sécurité des produits et la protection des consommateurs. Ces procédures s’appuient sur le Digital Services Act (DSA), qui pourrait conduire à des amendes allant jusqu’à 6 % de leur chiffre d’affaires mondial. Désormais classées comme VLOP (Very Large Online Platforms), Shein et Temu sont soumises à des obligations renforcées afin de tenir juridiquement responsables les géants du numérique.
Ces pratiques déloyales représentent une menace directe pour les industriels français (notamment dans le secteur textile), et ont conduit à la fermeture de nombreuses enseignes en Europe qui n’ont pas pu faire face à cette compétitivité accrue.
Quel plan de riposte français face à la concurrence déloyale ?
Le plan proposé s’articule autour de 2 piliers comprenant 8 mesures phares.
D’abord, renforcer la sécurité et la conformité des produits provenant des plateformes étrangères, en triplant les contrôles ciblés et en testant les produits (vérifier la conformité aux normes de sécurité, la loyauté des étiquetages, le respect des normes environnementales et des pratiques commerciales).
Ensuite, les résultats de ces tests seront communiqués aux consommateurs, afin de promouvoir davantage de transparence d’information et d’avertir les consommateurs sur les achats en ligne. Ces résultats seront également communiqués au niveau européen, afin que les États membres de l’UE puissent eux aussi bloquer l’importation des produits estimés dangereux.
Puis, des mesures seront mises en place pour lutter contre la concurrence déloyale envers les industriels français, en effectuant des contrôles prioritairement dirigés vers les plus gros acteurs du e-commerce, notamment extracommunautaires. Le plan prévoit une “juste proportionnalité” : « Un contrôle sur un petit acteur s’accompagnera du même contrôle sur les acteurs de plus grande taille », afin de ne pas laisser les géants du e-commerce hors du radar.
Le plan prévoit également de renforcer la lutte contre la fraude à la TVA en ciblant les vendeurs en ligne à risque et en sanctionnant les importateurs ou représentants fiscaux non coopératifs, afin de garantir une collecte équitable de la TVA.
En parallèle, une contribution forfaitaire de quelques euros par colis importé hors UE pourrait être instaurée dès 2026 pour financer les contrôles accrus et dissuader les pratiques de dumping, avec une mise en œuvre coordonnée à l’échelle européenne.
Enfin, la mesure phare de ce plan est la fin de l’exemption de droits de douane pour les colis d’un montant inférieur à 150€. En effet, aucun droit de douane n’est perçu pour les marchandises d’une valeur inférieure à 150€ aujourd’hui, ce qui permet aux e-commerçants hors d’Europe de fractionner les envois ou de sous-évaluer la valeur déclarée des colis pour éviter les tarifs douaniers. Selon la Commission européenne, jusqu’à 65% des colis de faible valeur entrant dans l’UE sont sous-évalués aujourd’hui pour échapper aux droits de douane. Supprimer cette franchise de 150€ permettrait de rétablir une égalité de traitement fiscale entre une importation directe par le consommateur et une importation traditionnelle par un distributeur européen.
Le protectionnisme américain : une politique industrielle assumée
Jusqu’en mai 2025, les colis d’une valeur inférieure à 800 $ pouvaient entrer aux États-Unis sans être soumis aux droits de douane, grâce à l’exemption dite « de minimis ». Cette disposition était largement exploitée par Shein et Temu, leur permettant d’expédier directement des millions de colis depuis la Chine tout en évitant les taxes.
Le 2 mai 2025, l’administration Trump a supprimé cette exemption pour les importations en provenance de Chine et de Hong Kong. Désormais, ces colis sont soumis à des droits de douane pouvant atteindre 145 % de leur valeur ou à des frais fixes de 100 à 200 $ par envoi. Cette mesure vise à rétablir une concurrence équitable avec les détaillants américains et à renforcer le contrôle des produits importés.
Bien que les mesures protectionnistes mises en place par le président américain aient pour objectif de revaloriser l’industrie américaine, celles-ci génèrent des conséquences négatives sur différents acteurs. Tout d’abord, la perturbation des chaînes d’approvisionnement a entraîné une inflation, qui se répercute directement sur les consommateurs et réduit leur pouvoir d’achat. De plus, certains pays comme la Chine ont réagi avec des mesures de rétorsions, exacerbant les tensions géopolitiques. Enfin, l’augmentation des droits de douane par les États-Unis pourrait rediriger les exportations chinoises vers l’Europe, ce qui pourrait intensifier la concurrence sur le marché européen et mettre sous pression les industries françaises.
Les conséquences sur les industriels : ce que le plan change (ou pas) pour le Made in France
Quelles sont les conséquences directes de ce plan pour les industriels français ?
- Réduction de la concurrence déloyale
La fin progressive de l’exonération de droits de douane pour les colis de moins de 150 € permettrait d’aligner fiscalement les importations directes depuis l’étranger avec les produits distribués en France, améliorant ainsi la compétitivité des industriels nationaux.
Toutefois, ce “rééquilibrage” demeure partiel : les entreprises étrangères, notamment chinoises, continuent de bénéficier de coûts de production extrêmement faibles, souvent en raison de normes sociales, environnementales ou sanitaires bien moins contraignantes que celles imposées en France ou au niveau européen. Même soumises aux nouvelles taxes, ces plateformes conservent donc une capacité à vendre à très bas prix, maintenant une pression concurrentielle forte sur les industriels nationaux.
- Préférence pour les circuits européens
Le triplement des contrôles et l’éventuelle instauration d’un prélèvement par colis peuvent ralentir les flux logistiques internationaux, mais avantagent indirectement les circuits européens plus courts et mieux maîtrisés, utilisés par les industriels locaux.
- Une consommation reconduite vers les industriels français
Si les entreprises étrangères voient leur avantage prix diminuer et sont donc contraintes d’augmenter leur prix de vente, certains consommateurs pourraient se rediriger vers la production française, en raison d’un écart de prix plus faible. Cela pourrait permettre l’ouverture d’une fenêtre commerciale pour les industriels français, par la mise en avant les avantages du Made in France.
- Enjeux logistiques et d’exportation
En réponse à ces nouvelles règles, certaines plateformes pourraient internaliser davantage leur logistique en Europe. Cela pourrait ouvrir des opportunités de partenariats logistiques ou de distribution pour les industriels français, mais aussi accroître la pression concurrentielle sur le territoire européen.
- Une temporalité incertaine
Les mesures phares (notamment la fin de l’exonération de droits de douane) dépendant de décisions européennes, les bénéfices attendus pour les industriels pourraient mettre plusieurs années à se concrétiser, laissant perdurer certaines distorsions de concurrence.
Quels leviers activer pour mieux réguler le e-commerce ?
Face à une législation qui semble être relativement faible pour être en capacité de revaloriser les acteurs de l’industrie française sur les marchés, regardons quelles pistes peuvent être envisagées pour ce faire :
• Accélérer la réforme douanière européenne :
Plutôt que d’attendre 2028, une entrée en vigueur anticipée de la suppression de l’exonération de droits de douane pour les colis de moins de 150 € permettrait de corriger plus rapidement les distorsions de concurrence, à l’image de la réponse immédiate adoptée par les États-Unis.
• Renforcer la traçabilité et l’information sur les produits vendus en ligne :
Imposer aux marketplaces l’obligation d’identifier clairement l’origine, le fabricant et la conformité réglementaire de chaque produit, avec sanctions en cas de manquement.
• Élargir les obligations du Digital Services Act (DSA) :
Élargir ces obligations aux plateformes à fort volume mais pas encore classées VLOP, pour éviter que certaines échappent à la régulation en restant en dessous du seuil de 45 millions d’utilisateurs.
• Développer une stratégie industrielle européenne pour le e-commerce :
Encourager la relocalisation logistique, favoriser les circuits courts numériques, et soutenir les PME françaises dans leur digitalisation, afin de rendre la production européenne plus compétitive en ligne.
• Sensibiliser davantage les consommateurs au véritable coût des produits “pas chers” :
Lancer des campagnes publiques d’information sur les impacts sociaux, sanitaires et environnementaux des produits ultra low-cost, et promouvoir des plateformes de commerce responsable ou labellisé.
Encourager les français à consommer des produits français pour créer un cercle vertueux.